jeudi, octobre 13, 2005

La haine de la musique

“Quand la musique était rare, sa convocation était bouleversante comme sa séduction vertigineuse. Quand la convocation est incessante, la musique devient repoussante et c'est le silence qui vient héler et devient solennel.
Le silence est devenu le vertige moderne. De la même façon qu'il constitue un luxe excceptionnel dans les mégapoles.
Le premier qui l'ait ressenti est Webern — mort d'une détonation américaine.
La musique qui se sacrifie elle-même attire désormais le silence comme l'appeau l'oiseau.”

“La musique multipliée à l'infini comme la peinture reproduite dans les livres, les magazines, les cartes postales, les films, les CD-ROM, se sont arrachées de leur unicité. Ayant été arrachées à leur unicité, elles ont été arrachées à leur réalité. Ce faisant, elles se sont dépouillées de leur vérité. Leur multiplication les a ôtées à leur apparition. Les ôtant à leur apparition, elle les a ôtées à la fascination originaire, à la beauté.
Ces anciens arts sont devenus des scintillations éblouissantes de miroirs, un chuchotement d'échos sans source.
Des copies — et non des instruments magiques, des fétiches, des temples, des grottes, des îles.”

PASCAL QUIGNARD,
La haine de la musique,
Gallimard, 1997, Folio n°3008